Inégalités sociales et territoriales de santé en cancérologie
La France fait partie des pays au monde qui présente les meilleurs indicateurs globaux de santé, mais c’est aussi celui qui présente en Europe l’un des plus forts gradient social de mortalité prématurée. Le cancer est l’une des pathologies qui participe le plus à ce gradient. Les inégalités sociales de mortalité par cancer sont souvent perçues par la population et les décideurs comme des inégalités concernant le risque de cancer (expositions professionnelles, mode de vie (alcool, tabac, alimentation, exercice physique, …etc.). Celles-ci varient fortement, quantitativement et qualitativement, d’une localisation à une autre. Les moyens d’actions pour réduire les inégalités sociales de risque de cancer renvoient à la prévention et à la promotion de la santé. Un autre type de mécanismes qui contribuent de manière très importante aux inégalités sociales est souvent oublié, ceux qui font que la survie d’une personne atteinte de cancer dépend très fortement de son environnement socio-économique. Cette fois, pour toutes les localisations cancéreuses, la survie est toujours la plus sombre dans les catégories sociales défavorisées, l’ampleur de différences étant parfois très importante. Au-delà du constat, notre équipe a ainsi pour objectif de proposer des interventions permettant de réduire les inégalités sociales de santé. Ainsi, notre équipe a conduit un essai contrôlé à randomisation collective visant à réduire les inégalités sociales dans le dépistage organisé du cancer colorectal dans les 3 départements de Picardie. Cet essai « PRADO » avait pour objectif d’évaluer l’effet d’un accompagnement personnalisé auprès des populations fragiles (principe inspiré des « Patients Navigators » américains), le bras « intervention » ayant un effectif de 150.000 personnes. Les résultats de cette étude publié en 2017 ont montré que, sous l’hypothèse d’une application uniquement à destination de ces populations fragiles (universalisme proportionné), ce type d’intervention pouvait réduire, voire annuler, les inégalités de participation aux campagnes de dépistage organisée du cancer colorectal.
L’objectif général des travaux actuels de l’équipe sur le sujet est d’identifier les mécanismes à l’origine des inégalités sociales en cancérologie et de proposer des actions pour les réduire.
Objectifs spécifiques :
• Caractériser le lien entre environnement social et incidence des cancers pour chaque localisation cancéreuse
• Identifier pour les localisations cancéreuses les plus fréquentes les étapes clefs (dépistage, diagnostic, traitement, suivi, réinsertions) de la construction des inégalités sociales
• Evaluer dans des essais d’intervention l’intérêt de certaines organisations des soins ou de certains dispositifs dans la réduction des inégalités sociales.
• Construire un indice européen transculturel de déprivation sociale.
• Développer les outils statistiques spécifiques à l’étude des inégalités sociales en cancérologie.
Les méthodes et les collaborations mises en place sont très variées et utilisent l’ensemble des outils de l’épidémiologie descriptive, analytique et d’intervention.
La création d’un indice européen de désavantage sociale (l’indice EDI) a constitué un apport important de notre équipe à la problématique des inégalités sociales en cancérologie. Après la création de cet indice pour la France et pour 6 pays de l’Union Européenne (Angleterre, Espagne, Portugal, Italie, Roumanie, Slovénie), les prochaines années verront l’extension de notre indice à l’ensemble des 28 pays de l’union européenne grâce à notre investissement au sein du projet européen WASABY.
Cet indice européen et sa version française sera utilisé pour apprécier l’environnement social dans toutes les études conduites en population générale et utilisant des données individuelles renseignant sur l’adresse de l’individu grâce à l’utilisation des techniques de géocodage de la plate-forme MapInMed (financement Ligue Nationale de Lutte contre le Cancer). Grâce aux compétences développées au sein cette plateforme, notre équipe a également pour objectif de mettre à disposition de la communauté scientifique des outils permettant une caractérisation fine du territoire national (indice d’enclavement géographique, distance d’accès à l’offre de soins)
Les études sur l’incidence des cancers, la prise en charge en charge et la survie des patients atteints de cancer utiliseront les données des registres de cancer français et européens. L’apport des registres de cancer français et européens dans ces études est essentiel car il assure la représentativité des échantillons étudiés, la disponibilité de données longitudinales de la découverte du cancer aux dernières nouvelles du patient, la comparabilité des données entre régions et entre pays et l’identification précise et fiable de la filière de soins.
Enfin, notre équipe souhaite développer des essais d’intervention de prévention primaire et secondaire en population générale. Une étude visant à évaluer l’intérêt du mammobile pour la réduction des inégalités sociales de participation aux dépistage organisée du cancer du sein va être conduite en Normandie à partir de 2019. Dans les communes éloignées des centres de radiologie, l’apport d’un mammobile au dispositif déjà existant est une piste d’action particulièrement attractive pour lutter contre les inégalités de participation.